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Echanges & outils - Mémoire CAPASH faire évoluer Lectorino & Lectorinette Pourquoi pas ?

Marie-Laure Valette-Gatto

Mémoire de CAPA-SH, option E










Faire évoluer Lectorino & Lectorinette… Pourquoi pas ?

Marie-Laure Gatto












Formation 2013-2015











Introduction

De nombreuses années d’exercice en tant que titulaire remplaçante ont enrichi ma pratique au contact de la grande diversité des manières d’enseigner que j’ai observées. En campagne comme en ville, en secteur difficile comme dans les quartiers les plus privilégiés, quelle que soit leur classe, un certain nombre d’élèves déclarés en difficultés d’apprentissage, présentent à mes yeux une caractéristique commune : l’école est un lieu de contrainte qui les éloigne de leurs sources de plaisir. Ils sentent bien qu’ils seront jugés en fonction de leurs résultats scolaires. Ils perdent à la fois toute curiosité naturelle et confiance en eux.

J’ai débuté en zone d’éducation prioritaire et compris très vite que l’un des moments magiques, pendant lesquels la classe s’apaise et s’unifie, sont les regroupements autour d’une histoire. La littérature est source de plaisir, et le plaisir un moteur puissant dans les apprentissages.

Sédentarisée pendant sept ans en petite section de maternelle, j’ai tenté de tenir la promesse faite à ces jeunes enfants devenant élèves : « À l’école, tu vas apprendre à lire ». Pour ces très jeunes élèves, « apprendre à lire » est seulement « apprendre à comprendre », l’apprentissage du code n’étant pas encore à l’ordre du jour. La compréhension en lecture me semble être la condition de base permettant de donner du sens aux apprentissages dans toutes les disciplines. Travailler à la développer, c’est prévenir la difficulté scolaire et faire grandir le désir inné de connaissances.

L’accès aux enseignements et aux travaux de Sylvie Cèbe, en cette formation CAPA-SH, est, pour moi, un véritable cadeau dans la mesure où ceux-ci m’apportent des connaissances pédagogiques complémentaires pour enseigner aux élèves comment « apprendre à comprendre ».

Les difficultés de compréhension apparaissent de façon récurrente sur les fiches de demande d’aide émanant des enseignants de cycle 3. Les élèves concernés ont du mal à comprendre les textes qu’ils étudient, mais aussi les énoncés de problèmes, ne parvenant pas à construire une représentation des situations évoquées. La plupart du temps, ils ont une bonne maîtrise du code et les tests de lecture en fluence les situent dans la norme. Cette incompréhension est à la source de leurs difficultés à apprendre et impacte leur vie scolaire, bien souvent, depuis leur entrée à l’école, et ce, dans tous les domaines d’apprentissage. Développer la capacité à comprendre des textes écrits, en parallèle avec l’apprentissage du code, me semble être un moyen de prévenir les difficultés en compréhension en cycle 3.

« Ceci n’est pas un manuel, mais un dispositif de formation continue ». C’est ainsi que Goigoux et Cèbe (2013) titrent la première partie de leur manuel, Lectorino & Lectorinette. Et ils concluent : « l’ouvrage que vous avez entre les mains est donc la troisième version de Lectorino & Lectorinette : c’est vous, dorénavant, qui le ferez évoluer en vous l’appropriant ».


Question de recherche

Compte tenu des fonctions de maître E que j’exerce, je me suis demandée si, en restant au plus près de la démarche, des activités proposées et des principes didactiques et pédagogiques préconisés par les auteurs, il était effectivement possible de construire un nouveau module adapté aux élèves les moins performants et utilisable par les maîtres E. Mon mémoire vise donc à savoir si cette action de formation continue très particulière produit bien les effets attendus par les auteurs, bref, si on peut « faire évoluer » le manuel en l’adaptant aux besoins des élèves sans toutefois le dénaturer.

Méthode

Pour répondre à cette question, j’ai mis en place la méthode suivante : j’ai d’abord cherché un album posant de vrais problèmes de compréhension à la fois sur le versant de la structure et sur celui de l’organisation des informations. J’ai opté pour Zigomar n’aime pas les légumes… et il a bien raison. J’ai créé un premier protocole (P1), soit quinze séances d’enseignement destinées à des élèves de CP, visant essentiellement à centrer leur attention sur la nécessité de mémoriser et d’organiser les informations pour être en mesure de comprendre l’ensemble.

Afin de vérifier que je respectais bien l’esprit de la méthode, j’ai soumis ce premier prototype à l’un de ses auteurs, S. Cèbe, également directrice de ce mémoire. Elle a validé les objectifs, la progression que j’ai suivie ainsi que les tâches et activités et a fait quelques propositions pour parfaire le prototype. J’ai alors revu mon scénario et rédigé un second protocole (P2) qui tient compte de ses conseils et commentaires.

Est venue ensuite l’« épreuve du feu ». Celle-ci a consisté à la mise en œuvre, en classe d’adaptation, de ce scénario auprès d’un groupe d’élèves déclarés en difficulté de mon secteur d’exercice. Cette mise en pratique m’a permis de tester mes propositions didactiques et pédagogiques (leur faisabilité) et d’observer les réactions et les changements dans les modes de traitement de mes élèves. J’ai également pris soin de les interroger pour recueillir leurs appréciations (positives et négatives) à la fin de chaque séance. Ces données sont précieuses pour saisir tout ce que je n’avais pas prévu au départ dans la mise en œuvre, et que les élèves m’ont enseigné. Elles m’ont amenée à modifier une nouvelle fois mon prototype pour qu’il réponde effectivement aux besoins particuliers des élèves. C’est ainsi qu’est né le troisième protocole (P3) qui sera, en fin d’année, mis dans les mains de collègues maitres E. Je leur demanderai de lire le document et de me faire part de leurs observations et de leurs commentaires, argumentés, et si possible, de leur propre expérimentation auprès d’élèves.

L’intérêt est de voir comment fonctionne ce scénario lorsqu’il est mis dans les mains d’enseignants qui n’ont pas participé à sa conception. Cette méthode devrait nous permettre d’évaluer si, en l’état, le prototype est facilement utilisable ou s’il doit encore subir des modifications qui tiennent compte des retours des utilisateurs. Par exemple l’ajout d’explications ou de justifications, l’ajout ou la suppression de tâches et d’activités, plus d’informations sur les modalités d’organisation de la classe, sur le temps à allouer… Il conviendra ensuite de mener une seconde étude visant à évaluer les effets de cette mise en œuvre sur les apprentissages des élèves, l’amélioration de leur compréhension.


Le cadre de travail

Les missions spécifiques du maitre E


« L’aide spécialisée à dominante pédagogique est adaptée aux situations dans lesquelles les élèves manifestent des difficultés avérées à comprendre et à apprendre, mais peuvent tirer profit de cette aide. » (Circulaire n° 2009-088 du 17 juillet 2009).

Une mission de prévention

La prévention est une intervention visant à anticiper et réduire les risques d’échecs scolaires. Les modalités se construisent après le repérage (observation, évaluations collectives ciblées) et l’analyse d’éventuelles difficultés. Elles doivent s’harmoniser avec le travail du maître de la classe et toute autre aide apportée à l’élève. « Il s’agit d’intervenir avant que la difficulté d’apprentissage s’installe ou s’amplifie. » (Bayet 2006). On distingue trois niveaux de prévention :

«  La prévention primaire (éviter la ou les difficultés)

La prévention secondaire (traiter la difficulté)

La prévention tertiaire (éviter les conséquences quant au devenir de la personne, ses apprentissages, sa formation, son insertion socioprofessionnelle) » (p. 262).

Prévenir la difficulté scolaire c’est doter l’élève d’outils (de connaissances, de compétences, de stratégies) capables d’améliorer la qualité de son fonctionnement et de son raisonnement et l’aider à prendre conscience de leur utilité dans les différentes tâches et activités scolaires. C’est aussi lui apprendre à comprendre les attentes de l’école : transférer ses connaissances nouvelles dans d’autres situations.

Une mission de remédiation

Les actions de remédiation sont mises en place après analyse des besoins particuliers de l’élève présentant des difficultés persistantes et importantes dans les acquisitions. Elles viennent compléter l’enseignement différencié du maitre de la classe et sont construites en collaboration avec celui-ci. Cette aide pédagogique consiste à proposer à l’élève d’autres chemins pour apprendre, à l’aider à tirer parti de ses erreurs, à valoriser ses réussites en prenant conscience des stratégies qui les ont permises.

L’organisation des aides autour de l’élève

Le réseau d’aide se réunit en synthèse, aussi souvent que possible, avec les enseignants concernés, afin d’étudier la mise en place des aides les plus pertinentes pour l’élève et l’évaluation régulière de ses effets. Dans cette logique, le maitre E est en mesure d’apporter son expertise. Un travail en partenariat réfléchi permet de construire ensemble les meilleures conditions d’apprentissage pour chaque élève. L’aide ne peut être efficace sans l’adhésion de l’élève et celle de ses parents. Rencontres et entretiens sont l’occasion d’écoute, d’explication des problématiques et des démarches envisagées, le but étant d’associer les familles au projet d’aide de leur enfant.

Le réseau d’aide du secteur

Le RASED est composé de deux psychologues scolaires, un maître G et deux maîtres E. Il intervient sur un secteur péri-urbain accueillant une population relativement hétérogène.

Les élèves


Le début des séances est toujours précédé d’un entretien avec chaque élève qui m’est confié. Ce premier contact nous permet de nous présenter l’un à l’autre, de préciser l’origine de la demande et les modalités des aides à l’apprentissage qui vont suivre. C’est aussi l’occasion pour moi d’entrer dans la représentation que peut avoir l’enfant de sa condition d’élève, de la conscience qu’il a de ses points forts comme de ses manques ainsi que de ses aptitudes langagières. Cet entretien vise à remettre l’élève à la tête de ses apprentissages et, au-delà de son adhésion au projet que l’on a pour lui, je souhaite qu’il vienne à la rencontre de l’aide qui lui est proposée en toute conscience de ce qu’il fait pour lui-même.

P., A., C. et N. sont élèves dans deux cours préparatoires (CP) voisins de l’école de M. dont les enseignants qui préparent la classe ensemble emploient la même méthode de lecture : « Un monde à lire » (Hartmann, Le Guay, Costet, Bentolila, 2012).

P. a bénéficié d’une aide E en grande section (GS). Il a participé à des séances centrées sur la compréhension de textes narratifs et sur la phonologie. Au début du CP, s’il est très actif dans les activités, il a déjà du mal à exprimer sa pensée avec clarté et ne parvient pas à une compréhension suffisante des informations pour pouvoir raisonner et se faire une opinion. Son enseignante décrit une attitude passive face aux apprentissages, un besoin régulier de se faire préciser les consignes et la nécessité d’un guidage particulier dans toutes tâches. P. essaie souvent de répondre mais il a du mal à rester dans le sujet, à construire ses phrases. Il s’embrouille dans ses explications et s’arrête, gêné et confus de ne pas pouvoir se faire comprendre. Il dit pourtant aimer l’école… surtout la récréation. En ce début d’année, il n’a pas compris le principe alphabétique, ne stabilise pas les sons ni les mots étudiés et manque de vocabulaire. P. est un élève enthousiaste, il a envie d’apprendre et il fait parfois des remarques très pertinentes. Ses parents adhèrent totalement aux aides qui lui sont apportées et s’y associent.

A. a, elle aussi, bénéficié d’une aide E centrée sur la compréhension de textes en grande section. Elle manifestait peu d’intérêt pour l’activité, ne répondait pas spontanément aux questions posées et était incapable, à la fin, de relater un épisode de l’histoire lors du récit collectif clôturant les séances. En GS, elle bénéficiait aussi d’une aide G. Au début du CP, l’enseignante note qu’elle ne mémorise pas les lettres étudiées et ne discrimine pas les sons. Elle semble souvent répondre au hasard, cherche beaucoup à copier, elle sait imiter l’attitude de l’élève idéal pour ne pas attirer l’attention, son lexique est très restreint. Son enseignante dit qu’il est difficile de savoir si ses capacités de compréhension sont réduites ou si elle n’investit pas les apprentissages. A. dit ne pas aimer l’école, ne pas savoir se situer dans la journée, qu’une fois la consigne donnée, elle ne sait plus ce qu’elle doit faire et que « tout qu’est dur ». A. se montre, pourtant, très communicante pendant notre entretien. Elle est heureuse de prendre part au projet que je lui présente et ses capacités de mémorisation et de traitement des informations deviendront évidentes lors des activités dans le petit groupe.

C. est scolarisée dans l’école depuis septembre. Elle vit dans un contexte familial très perturbé. L’année dernière, elle a fait l’objet d’un placement provisoire en famille d’accueil avec ses frères et sœurs. Devant la difficulté, elle baisse les bras et n’utilise pas les aides proposées (affichages, sous-main), elle ne poursuit la tâche que lorsqu’elle est en réussite et ne répond que lorsqu’elle est parfaitement sûre d’elle. Elle aussi manque de vocabulaire et déforme souvent les mots qu’elle utilise. Elle ne s’exprime jamais en classe. Ses réponses à l’entretien sont laconiques, elle y exprime une mauvaise opinion d’elle-même, pourtant un sourire se dessine sur son visage chaque fois que je viens la chercher pour l’étude de l’album. Le maître G du réseau étant en formation cette année, aucune prise en charge de cet ordre n’a été possible. C. se débrouille très bien lorsqu’elle est confrontée à des types d’exercices connus, elle se met alors au travail toute seule, va au bout de la tâche et donne des réponses justes.

N. est également arrivé dans l’école cette année. En classe, son enseignante constate qu’il n’écoute jamais et parle tout le temps, il ne sort pas ses affaires spontanément, n’investit pas les apprentissages, il vient jouer à l’école et s’équipe en jouets dans cette perspective. Le geste graphique est difficile, toute motricité fine l’est aussi. Son intégration dans ce groupe a pour but de lui proposer un espace cadrant propice à la réflexion, à une expression orale régulée ainsi qu’à des feed-back positifs susceptibles d’éveiller son désir d’apprendre. N. accepte, de bonne grâce, les tâches qui lui sont proposées et dit même, lors de l’entretien, sa hâte de commencer les séances en petit groupe. Il veut souvent savoir si ce qu’il fait ou dit, ce qui convient, il tient compte des réponses qu’on lui donne et montre ainsi tout son désir de bien faire.

La compréhension des textes écrits

« Dès son éclosion au langage, nous lui avons raconté des histoires… nous lui avons tout appris du livre, en ces temps où il ne savait pas lire. » (Pennac, 1992, p. 19).

Bien avant de savoir lire, les enfants aiment entendre des histoires. Le coin bibliothèque constitue souvent un refuge pour les très jeunes élèves. Confortablement installés, le livre les extrait du monde tout en leur permettant de mieux le comprendre. Pourtant, comme le rappelle Tauveron (1999), on ne peut compter sur la magie naturelle du livre pour établir une connivence culturelle et affective entre l’élève et le texte ; cette connivence, et le plaisir qu’elle génère, se construit, elle est le fruit d’une éducation et d’un enseignement.

La grande aventure


Même si l’entrée dans le monde de l’écrit se fait bien avant, la grande aventure du CP reste l’apprentissage formel de la lecture. Les activités visant à installer la maîtrise du code occupent une large part dans l’emploi du temps et les seuls apports littéraires sont souvent restreints aux albums faisant partie de la méthode de lecture utilisée. Choisis pour servir de support à l’acquisition du principe alphabétique, leurs structures ne permettent pas un réel travail sur la compréhension. Il devient, alors, nécessaire de choisir des albums plus « résistants » qui permettront de poursuivre cet enseignement, le plus souvent amorcé en maternelle.


Comprendre un texte c’est…


« … être capable de construire une représentation mentale cohérente de l’ensemble de la situation évoquée par le texte » (compétences narratives en réception) et « … aussi être capable, à l’école, de manifester qu’il a compris ce qu’il a lu » (compétences narratives en production) (Goigoux, 2008).

Les compétences narratives en réception

Comprendre un texte implique donc, de construire sa signification, c'est-à-dire une représentation mentale cohérente de son contenu, ce que Cèbe et Goigoux appellent «fabriquer un film ». « Cette construction s'effectue toujours par le biais d'une interaction entre un texte composé d'informations explicites et implicites agencées selon les règles d'usage d'une langue donnée et un lecteur disposant de bases de connaissances conceptuelles et linguistiques sur lesquelles interviennent un certain nombre de mécanismes ou procédures. » (Fayol, 1992, p. 73).

Parce qu’« une image vaut mille mots » (Duke et Pearson, p.14, 2002), la représentation visuelle permet la mémorisation et donc le rappel d’une grande quantité d’informations. Transformer le texte en images aide à la compréhension en mobilisant le lecteur dans une activité d’organisation et de hiérarchisation des idées. Lors de l’élaboration de cette représentation mentale, le lecteur va devoir récupérer d’autres informations dans les différentes composantes de sa mémoire à long terme, pour les mettre en lien avec celles du texte. La mémoire épisodique (Tulving, 1972) est sollicitée, l’évocation d’un jardin peut, par exemple, être associée à l’image de celui de grands-parents. La mémoire sémantique, qui est celle des connaissances générales, l’est également pour comprendre les mots et les concepts rencontrés. Cette opération n’est possible que si l’élève est conscient du but de son activité. L’acquisition d’une technique pertinente de compréhension requiert un guidage étroit de la part de l’enseignant. Dans un premier temps, il est donc important de s’assurer que tous les mots sont compris, un texte bien choisi peut aussi venir renforcer la base de connaissances des lecteurs.

Le récit en expansion, les discussions entre élèves, les exercices de type « schtroumpfer les mots », permettent à l’élève de déduire le sens des mots en apprenant à s’appuyer sur le contexte. Ils pourront ensuite en proposer une définition, en trouver des synonymes et renseigner ainsi un tableau de vocabulaire qui fera apparaître la liste de ce qu’ils ont appris.


De la compréhension littérale à la lecture interprétative

À la différence d’un documentaire ou d’une liste de courses, le texte littéraire est incomplet par nature. L’accès au sens n’est ni immédiat ni automatique, il demande au lecteur d’accepter d’interagir avec le texte de façon consciente et réfléchie.

« De ce fait, le texte n’est pas lisible si le lecteur ne lui donne pas sa forme ultime, par exemple en imaginant consciemment ou inconsciemment, une multitude de détails qui ne lui sont pas fournis. » (Bayard, 1998, pp. 127-128).

Une lecture inférentielle est indispensable pour construire une représentation mentale cohérente, gage de compréhension. « Produire des inférences consiste à tirer des conclusions qui ne sont pas explicitement écrites dans le texte. Cela suppose que le lecteur mette en relation les informations présentes dans le texte de manière éparse (inférences de liaison), et qu’il lie ces dernières avec sa base de connaissances (inférences pragmatiques ou élaborations). » (Cook, Limber & O’Brien, 2001).

Cette « résistance » du texte génère un plaisir intellectif à condition, toutefois, que l’enseignant lui apprenne à réduire ou à lever cette résistance. Si chacun peut interpréter ce qu’il lit en fonction de son histoire personnelle et de ses attentes, « Le rôle de l’enseignant n’est pas d’accepter n’importe quel délire interprétatif. Les droits du lecteur ne peuvent outrepasser les droits du texte. Il est vrai que dans de nombreux cas, il n’y a pas plusieurs manières de comprendre (et donc pas lieu de discuter). Tous les problèmes de compréhension n’ont de solution que consensuelle. » (Tauveron, 2002).

« L’interprétation est une opération de second niveau qui prend le relais d’un processus de compréhension dont elle complète justement l’œuvre » (Riffaterre, 1979, p. 16).

Dépasser la compréhension littérale pour accéder à ce que le texte ne dit pas, pouvoir expliciter l’implicite, requièrent différentes compétences clairement précisées par S. Cèbe et R. Goigoux.

L’élève doit franchir la frontière entre langue orale et langue écrite, ce qui suppose qu’il se familiarise avec un lexique et une syntaxe peu utilisés dans la vie courante. Il y sera d’autant plus habile qu’il aura fréquenté de nombreux textes, se dotant ainsi d’un stock de mots, de formes syntaxiques et d’organisations textuelles, se construisant ainsi une culture de l’écrit. Il doit posséder suffisamment de connaissances encyclopédiques et culturelles pour être en mesure de transformer les mots en images, de faire des ponts entre ce qui est écrit et ce qu’il sait, de comparer ses différentes lectures, de décloisonner ses savoirs pour parvenir à lire entre lignes. Comprendre un texte demande aussi une mise en mémoire des informations importantes, et donc un tri, afin de pouvoir établir des liens logiques et chronologiques entre les différentes situations. Le paysage du récit se dessine progressivement avec le positionnement des personnages, l’identification de leurs rôles, de leurs actions, de leurs intentions et de leurs pensées. Mentalement « le film » se précise avec la prise en compte des informations spatiales et s’anime quand les grandes lignes de l’intrigue se dégagent. La fabrication de ce film est le fruit d’un travail conscient et progressif de recherche de sens. Il nécessite lecture et relecture « cherchant à chaque fois, dans les plis des phrases, la preuve d’une découverte nouvelle » (Calvino, 1979, p. 126). Chacune de ces découvertes nouvelles amène le lecteur, s’il fait preuve de flexibilité, à modifier sa représentation.

Afin de faciliter ce travail, les auteurs de Lectorino & Lectorinette recommandent de demander régulièrement aux élèves de réaliser des « synthèses provisoires » c’est-à-dire de reformuler les informations nouvelles dans leurs propres mots et de raconter l’histoire depuis le début. Ces temps de reformulations successives visent à permettre au lecteur (ou à l’auditeur) de faire le point sur ce qu’il apprend du texte et de le lier à ce qu’il sait déjà, favorisant ainsi l’intégration des nouvelles données en un tout cohérent, ainsi que leur mémorisation. Pour gérer au mieux sa progression dans la compréhension, l’apprenti lecteur doit, selon l’expression de Lafortune et Saint-Pierre (1996), surveiller ce qu’il fait, afin de repérer ses erreurs et de pouvoir les expliquer.

Les compétences narratives en production

Le rappel oral complet d’un récit par un élève est un exercice rarement pratiqué dans les classes pour des raisons essentiellement pratiques (nombre d’élèves x temps nécessaire à chacun). Les conditions de prise en charge en aide E peuvent le permettre. C’est une activité idéale pour améliorer la qualité de la compréhension elle-même et pour vérifier ce que les élèves ont appris, compris et retenu.

Dans l’introduction de « Lectorino & Lectorinette », les auteurs rappellent le caractère actif et intentionnel de la compréhension (Veneziano, 2010) et donnent les cinq bonnes raisons d’entraîner les compétences narratives :

« 1. L’activité de rappel de récit finalise la tâche de lecture. Autrement dit, elle lui donne un but intégrateur – facilement repérable par de jeunes enfants – puisqu’elle les oblige à « prendre ensemble » (cf. étymologie du verbe « comprendre ») et à réunir toutes les données du texte en un tout cohérent s’ils veulent pouvoir raconter, sans aide, l’histoire étudiée en classe.

2. La narration permet de centrer l’attention des élèves sur le lien qui unit compréhension et mémorisation et, partant, sur l’effort de mémorisation qu’il convient de faire pour ne pas oublier de relater des informations essentielles…

3. Elle facilite les apprentissages lexicaux….Elle participe aussi au progrès de leur imagination !

4. Elle favorise le développement de compétences utiles à la production écrite de textes. Passant progressivement de narrations réalisées collectivement à des activités individuelles, les élèves sont incités à passer du dialogue au monologue, ce dernier préfigurant l’activité solitaire du scripteur, en l’absence du destinataire. La multiplication de tâches de rappel oral de récits oblige les élèves à planifier leur discours (à organiser leurs idées), à soigner leur mise en mots (lexique et syntaxe) et à assurer la cohérence textuelle (désignation des personnages, place du narrateur, reprises anaphoriques, etc.).

5. Elle permet enfin au professeur de mieux évaluer ce que ses élèves ont ou n’ont pas compris et de réajuster son enseignement sur la base d’autres indices que l’exactitude des réponses qu’ils apportent aux questions qu’il leur pose. ».

Dans les classes, à la suite d’une lecture, on demande habituellement aux élèves de rappeler les personnages de l’histoire, de remettre en ordre des images séquentielles. Lorsqu’ils savent lire, on leur propose, des lectures puzzles. Réussir ces exercices ne prouve pas qu’ils aient établi des liens de causalité entre les faits relatés, ni même qu’ils aient pris conscience des buts poursuivis par les personnages.

Une activité spécifique de compréhension


L’exercice du récit nécessite l’utilisation de marques de temporalité et de locutions de type : « si …alors.. » ou « parce que … », et donc de pouvoir faire des liens chronologiques et logiques entre les faits. Il faut avoir clairement identifié les caractéristiques identitaires des personnages, compris leurs intentions et leur quête, deviné ce qu’ils pensent. Ce savoir-faire n’est pas inné, aussi les activités proposées dans « Lectorino & Lectorinette » sont orientées vers cet apprentissage.

« La compréhension ne progresse que si elle est entraînée. » (Paour, 2014). « L’une des hypothèses de la recherche est qu’il est nécessaire de traiter le problème à sa source, c’est-à-dire nécessaire, dès l’entrée en lecture, d’initier les élèves aux spécificités de la lecture littéraire pour, ce faisant, on l’espère, leur faire goûter ce plaisir particulier qui consiste à être le partenaire actif d’un jeu avec un texte qui a du jeu (des béances à combler, des pièces qui glissent l’une sur l’autre et peuvent s’imbriquer en une multitude de configurations à la manière d'un mécano), jeu dont il convient à tout moment d’inventer les règles. » (Tauveron, 1999, p. 12).

Au CP, le coût attentionnel du décodage est trop important pour envisager de travailler la compréhension en lecture à partir de textes déchiffrés par les élèves eux-mêmes. C’est pourquoi elle doit, selon moi, faire l’objet d’activités spécifiques, introduites, comme en maternelle, par un décodage pris en charge par l’enseignant.

Un chemin pour chacun


Lors du suivi E auprès de A. et P. en grande section, j’avais utilisé les séances bâties par Florence Lévite, et sous la direction de S. Cèbe, autour de l’album « Le Gruffalo », ainsi que la méthode de Perrin « Entrer dans la littérature ». Devant les difficultés persistantes de ces deux élèves en matière de compréhension de texte et d’expression orale, et dans l’idée de les accompagner dans l’apprentissage de la lecture, il avait été convenu (entre l’enseignante de grande section, celle du cours préparatoire et moi-même), de la mise en place d’une aide dès le premier trimestre de cette année. Prenant en compte leurs besoins et pour rester dans la continuité du travail commencé, j’ai tenté d’adapter la méthode « Lectorino &Lectorinette », destinée aux élèves de CE1 et de CE2, à des élèves de CP. La suite de séances présentée ici, a donc été faite « sur mesure » pour ces élèves. Mon protocole initial a dû être modifié au cours de sa mise en œuvre. Certains aspects méritaient plus de temps que ce que j’avais prévu et certaines activités devaient être simplifiées au niveau des consignes. Il m’a fallu surtout adapter mon travail aux points d’achoppement de chacun.

Après la présentation de l’album et de la suite synthétique des séances, j’ai fait l’analyse de la mise en œuvre du scénario. J’ai enregistré les élèves au cours des différentes étapes, ce qui m’a permis de relever précisément les avancées des élèves, leurs réactions, les points à adapter, et d’être totalement présente lors des séances. Je conclurai donc ce mémoire par une réflexion sur ce qui me paraît différencier les pratiques pédagogiques du maître E de celles qui étaient les miennes, en tant qu’enseignante ordinaire.



Présentation de la séquence

Le support


L’album de Philippe Corentin « Zigomar n’aime pas les légumes » a une structure complexe. C’est un texte très « résistant » qui ne peut se passer des images pour se laisser comprendre et, pour les élèves qui nous occupent, de l’aide de l’enseignant. La souris, Pipioli rêve, comme Icare avant elle, de pouvoir voler et demande à son ami Zigomar, le merle, de lui apprendre à le faire. De ce rêve impossible, elle fera les frais. Comme l’analyse Gaiotti (2007), on peut comprendre qu’après plusieurs essais soldés par des chutes, elle y parvient. On note que la dernière chute de Pipioli le laisse sans connaissance, mais sur la page suivante c’est « le grand jour » et il sait voler. Les deux amis se retrouvent ensuite prisonniers de légumes qui veulent leur imposer des châtiments identiques à ceux qui leur sont habituellement infligés par les « mangeurs de légumes ». Répondant aux appels angoissés de son enfant, la mère de Pipioli vient à leur secours et chasse les légumes. L’histoire finit autour d’un goûter préparé par la maman et composé d’une tarte aux noix et d’un gâteau aux cerises. A la surprise générale, Pipioli refuse ces desserts dont il raffole d’habitude.

Une observation plus attentive des images montre un changement de vêtements des personnages. Après sa perte de connaissance, Pipioli porte une chemise rouge et des chaussures vertes (auparavant, une chemise jaune et des chaussures rouges). Zigomar, lui, n’a aucun vêtement avant la chute, alors qu’après il porte une culotte comme celle de Pipioli, et c’est lui qui a des chaussures rouges. À la reprise de conscience de Pipioli (p25), chacun a retrouvé sa tenue d’avant la chute. Ces indices permettent de déduire que Pipioli, pendant son inconscience, fait un cauchemar. On note que la première page de l’album ne correspond pas au début de l’histoire. Elle projette le lecteur directement dans le cauchemar que fait Pipioli dans son état d’inconscience, provoqué par sa deuxième chute ! La chronologie n’est pas linéaire et le récit qui suit marque un retour dans le temps expliquant ce que font les deux « oiseaux » à ce moment-là.

Le récit de ce cauchemar vient s’emboîter dans la première histoire, on passe d’un plan fictionnel à un autre « … la fin de l’album montre comment la fiction, par le biais du cauchemar, vient déborder sur la réalité, ce qui est un des traits récurrents dans l’œuvre de Corentin. » (Gaiotti, 2007). Tauveron (2006) appelle « métafiction métaleptique », ce genre littéraire dans lequel « l’auteur orchestre les franchissements de frontières à l’intérieur des univers fictionnels,… Autant de jeux d’illusion-désillusion qui constituent pour de jeunes lecteurs un scandale cognitif mais sont, par hypothèse, à même de leur faire entrevoir les pouvoirs de la fiction sur le lecteur comme les pouvoirs de l’auteur sur la fiction… » (p.6) Le prélèvement d’indices iconiques que nécessite la compréhension de ces passages d’un plan à un autre fait de cet album un excellent terrain d’entraînement pour des élèves de CP qui vont être amenés à exercer finement leurs talents d’observateurs dans l’apprentissage de la lecture.

Cet album se présente comme un vrai défi en matière de compréhension de texte. Dès l’amorce, un rapport ludique s’instaure avec le lecteur, celui-ci n’ayant pas le temps de s’installer dans l’histoire : il y est propulsé et va devoir reconstruire l’ordre de l’histoire en utilisant finement toutes les informations, visuelles et textuelles fournies. Il va devoir entrer dans le monde de l’autre, voir s’identifier, pour comprendre les raisons de la colère du navet ou comment le mensonge peut être un moyen de défense. Au-delà des états mentaux des personnages, on peut même envisager un abord plus philosophique dans le domaine de la confrontation des fantasmes avec la réalité… et de ses conséquences, par la lecture de contes tels que celui de « la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf » ou celle de la légende d’Icare.

Cette œuvre s’adresse à des lecteurs à partir de 5 ans, sans limite supérieure, je crois. Ils y retrouveront des personnages faciles à identifier : les souris, le merle, et des végétaux familiers. Le décor est minimaliste : un fond ocre et un arbre (personnifié dans le rêve). La surprise et l’humour peuvent entrer en résonance avec la malice naturelle des enfants maintenant leur attention et leur intérêt, tout au long des séances, dans un climat de plaisir.


Les principes pédagogiques de la séquence

Vers l’autorégulation de l’activité de lecture

L’objectif général de la séquence a été expliqué aux élèves lors de la première séance, et rappelé fréquemment au cours des suivantes. En début de chaque séance, il leur a été demandé de rappeler les acquis de la séance précédente et annoncé les objectifs spécifiques de celle du jour, ainsi que les modalités de l’activité prévue pour les atteindre (moyens et stratégies utiles). Les séances se concluent toujours par une récapitulation de ce qui vient d’être appris. Ceci dans l’idée que chaque élève puisse savoir clairement ce qu’il apprend, comment il l’apprend, ce qu’il a bien compris et ce dont il n’est pas très sûr encore.

Comprendre la structure de l’histoire

Nous l’avons dit plus haut, la compréhension du « véritable » enchaînement des faits a demandé un guidage et un étayage précis pour permettre à tous les élèves de comprendre ce texte. C’est pourquoi j’ai choisi de faire étudier cet album page à page. Après la lecture du texte puis sa traduction dans des termes et une syntaxe adaptés au niveau de compréhension des élèves, puis l’étude minutieuse des illustrations, les élèves ont été invités à reformuler avec leurs mots la page étudiée. Cette reformulation, pas à pas, a fait apparaître le lexique (mots et expressions) à inscrire dans le tableau de vocabulaire. En jouant à « schtroumpfer » les mots inconnus, les élèves ont appris comment on peut deviner le sens d’un mot en s’appuyant sur le contexte. Les explications valides proposées ont ensuite été utilisées pour renseigner le tableau. Une carte illustrant le mot ou l’expression, était à chaque fois, présentée. Le déroulement a été le même pour chaque nouvelle page si ce n’est que les élèves ont été par la suite systématiquement invités à la fin de ladite page à reprendre le récit depuis le début afin de travailler les compétences narratives et de « tricoter les informations entre elles pour les aider à construire, en situation, la cohérence textuelle. Je les ai également encouragés à utiliser autant que possible le vocabulaire appris. Ces récits successifs et systématiques visaient aussi à favoriser la mise en mémoire des informations.

Pour aider les élèves à mieux comprendre la structure emboîtée de ce texte, j’ai proposé un dispositif original qui permet de matérialiser cette structure par des boîtes, à la manière des poupées russes. La plus grande portait l’illustration de couverture sur le couvercle et en contenait une plus petite dont le couvercle était illustré par les deux amis habillés comme dans le rêve. Les élèves devaient replacer des images de l’histoire dans la première ou la seconde selon le moment qu’elles représentent. Cette activité a été proposée en phase 3 (séance 11) afin de faciliter la conception de cette notion d’emboîtement des histoires, et en préalable à l’entraînement à la narration. L’appropriation du lexique (mots et expressions) a été entraînée par le jeu de cartes illustrées de façon à favoriser le rappel des mots du texte. J’avais initialement prévu d’utiliser ces cartes en séance 3 afin de rappeler le lexique appris. Il m’est apparu nécessaire, en constatant le peu de mots réutilisés dans les récits des élèves, de les remettre en jeu à chaque synthèse provisoire, donc tout au long de la séquence.

En préparation du récit final et complet, j’ai présenté aux élèves un « livre à jouer », ayant pour titre « La ferme » et composé de pages représentant différents lieux (le jardin, la basse-cour, l’écurie..) ainsi que de petits personnages cartonnés (la fermière, le fermier, leurs enfants et le chien). Le livre devient un théâtre dans lequel les enfants font jouer aux personnages des scènes qu’ils inventent. J’avais donc préparé un assemblage de pages vierges de couleur ocre (comme dans l’album original) et expliqué aux élèves que nous allions y installer les illustrations de couverture et les décors afin de reconstituer l’album sans texte écrit. Ils disposaient des différentes représentations de Pipioli, de Zigomar, de l’arbre (personnifié ou non) et de celles des légumes, préalablement photocopiées, découpées pour les isoler et pourvues d’une attache amovible permettant de les décrocher. Ce petit théâtre devait servir de support pour raconter, on pouvait également utiliser des légumes factices. Cette mise en scène avait pour but de donner une dimension spatiale aux mots, d’ancrer dans les mémoires le souvenir de cette expérience tout en aidant à la compréhension. La reconstitution des pages a demandé aux élèves d’en avoir une représentation mentale précise, ce qui impliquait d’avoir mémorisé l’ordre des pages de l’album, les indices permettant de différencier les illustrations de ce qui se passe dans le rêve et de celles de l’histoire centrale, d’associer les postures et positions du merle et de la souris aux différents moments de l’histoire et de savoir les placer correctement les uns par rapport aux autres. Les éléments étant repositionnables, les élèves pouvaient réajuster leur construction, par comparaison avec l’album original, prenant ainsi conscience d’éventuels oublis ou confusion. Ils étaient amenés à prévoir des opérations de tri et de mise en ordre des figures à placer, pour préparer leur récit, occasion pour eux d’apprendre à penser l’organisation avant toute mise en œuvre.

Entrer dans le monde de l’autre

Qu’est-ce qui sous-tend cette envie de voler que ressent Pipioli en voyant le lapin ? Comment se sent-on quand on est pris au piège ? Pourquoi le gros navet est-il en colère ? À quoi peut servir de mentir ? Construire l’identité des personnages passe par la compréhension de leurs états mentaux. Lebrat (2013) précise : « … C’est en s’ouvrant à l’univers de l’autre, en s’identifiant parfois avec lui, en éprouvant ce qu’il éprouve, et en revenant à soi, que se construit une dimension intérieure, distincte mais enrichie d’altérité. Voilà ce qui permet de mieux comprendre les aller-retour entre l’intérieur et l’extérieur, qui mettent en scène des personnages en train de se chercher (et cette quête est mise en évidence dans un subtil jeu de cache-cache), de construire leur identité en la confrontant à celle d’autrui. » (p. 17).

Pour des élèves de cet âge, établir des rapprochements entre leurs propres expériences et celles des personnages me semble être un premier moyen d’accéder à leur ressenti, de comprendre leurs motivations, leurs buts et leurs intentions. Leur donner des mots pour décrire les émotions de façon plus nuancée en est un second. Se mettre en situation par le jeu de rôle ou le mime aide à comprendre en éprouvant. Ici il s’agissait d’utiliser au préalable toutes les informations que donnent les images en les décrivant : expressions des visages et des corps (les plumes de Zigomar se redressent à la chute de Pipioli), postures des personnages (Pipioli apprend à voler comme on apprend à nager), position des personnages les uns par rapport aux autres (Pipioli se cache derrière Zigomar), pour en déduire ce qu’ils ressentent.

Apprendre à raconter

Cette séquence étant menée dans le premier trimestre de l’année de CP, aucune compétence de décodage n’a été sollicitée. Le seul travail portant sur l’écrit a eu pour but de différencier le langage des légumes du langage ordinaire. À cette fin, j’ai utilisé partiellement la méthode des jetons, pour aider les élèves à comprendre que la segmentation de la phrase en mots n’est pas la même et qu’à l’oral cette différence est difficilement perceptible. La compréhension du texte peut d’ailleurs être perturbée par le fait que Zigomar et la maman de Pipioli s’étonnent, en l’entendant seulement, de la façon de parler de celui-ci en dernière page. Philippe Corentin aime créer du conflit cognitif et instaurer une connivence pleine d’humour avec le lecteur. La diversité du lexique employé pour décrire les traitements subis par les végétaux est venue enrichir le capital de mots des élèves. Les différentes tâches proposées ont servi d’occasion à des rencontres et des réutilisations répétées de ces mots appris en vue d’une appropriation définitive par les élèves. Cette connaissance lexicale a favorisé à merveille l’atteinte d’une des cibles principales de ce travail qu’est « apprendre à raconter »


Déroulement de la séquence

Les séances ont été menées avec les quatre élèves en salle RASED. La taille restreinte de ce groupe offrait un espace idéal pour les échanges entre les participants ainsi qu’une opportunité pour chacun d’être très actif et donc plus attentif. P., N., A. et C. avaient tous besoin d’améliorer leur expression orale, d’apprendre à organiser leurs idées, d’apprendre à écouter, à regarder, à garder les informations en mémoire, à raisonner, à se discipliner pour parvenir à échanger, et en premier lieu de réinvestir les apprentissages scolaires.

En préambule, il faut signaler que la gestion du groupe s’est avérée délicate, C. étant presque mutique, N. plutôt verbomoteur. A. laissait volontiers toute place aux autres, P. avait du mal à occuper la sienne pris entre sa timidité et l’entremêlement de ses pensées. J’ai donc misé sur la mise en œuvre de mon scénario pédagogique mais aussi sur le don de Philippe Corentin à parler à l’imaginaire de ses lecteurs, pour les fédérer autour de ce genre de rêve impossible que chacun de nous porte en lui. Je savais aussi, avant de commencer, que la prise en compte des problématiques de chacun demande à tout enseignant un effort de présence et de flexibilité. J’acceptais par avance et prévoyais de modifier le cours et la longueur des séances afin de les faire correspondre à l’avancement des élèves.

Cette séquence a été divisée en trois phases : la première a consisté en l’étude du texte page à page, la deuxième visait les apprentissages lexicaux, la clarification de la chronologie, l’étude des états mentaux successifs des personnages et la vérification de la compréhension de la structure sémantique du texte. La troisième a été consacrée à un entraînement à la narration de l’histoire entière avec le support décrit plus haut en vue d’une présentation en classe.

Phase 1 : LE TEXTE PAGE À PAGE

Hormis la première, chaque séance a débuté par le rappel, par les élèves, du but de nos rencontres, de ce qu’ils avaient appris, de ce qu’ils savaient de l’album choisi, de ce qu’ils avaient fait lors de la séance précédente, de ce qui était annoncé pour celle-ci. La narration a été entraînée étape par étape, les différents récits des élèves étant enregistrés pour que je puisse, la séance terminée, faire le point sur leur progression. Chaque séance s’achevait par une conclusion portant sur ce qui venait d’être fait et appris.

  • Séance 1 Présentation de l’objectif général de la séquence, puis de l’objectif de cette première séance. Le titre de l’album a été donné sans découvrir la page de couverture. L’auteur a été présenté en lien avec des albums qui ont pu leur être lus en maternelle. Après la lecture des pages quatre, cinq, six, l’observation et la description très précise des illustrations, j’ai traduit le texte dans une langue (syntaxe, vocabulaire) adaptée à leur niveau de compréhension. Les élèves ont ensuite été invités à rappeler le nom et la nature des personnages et à raconter ces premières pages dans leurs propres mots.

  • Séance 2 Après une lecture jusqu’à la onzième page, les élèves ont été invités à produire, avec mon aide, un récit « expansé » appuyé sur les images de l’album. Ils ont aussi été amenés à traduire toutes les expressions, les « boum » et les « aïe ». Par la suite, ils ont été incités à observer plus finement les illustrations pour étudier précisément les positions, les postures de chacun et les interpréter. Ils ont également joué au jeu « des différences » pour percevoir les indices vestimentaires, et la personnification de l’arbre à certains moments. Les élèves ont ensuite eu à raconter l’histoire depuis le début (1+2). Cette activité a été pour moi l’occasion de relever les mots et expressions du texte qui étaient inconnus des élèves. J’ai également noté les définitions et explications auxquelles sont parvenus les élèves en s’appuyant sur le contexte, pour renseigner le tableau de vocabulaire.

  • Séance 3 L’histoire a été relue et poursuivie jusqu’à la page quinze. Les élèves pouvaient intervenir s’ils savaient ce qui allait être lu (avec les mots du texte). Après un nouveau récit en expansion, j’ai présenté les cartes images illustrant le lexique et les expressions rencontrés dans cette partie du texte. J’ai également noté d’autres mots que les élèves ne comprenaient pas, et que je pensais connus d’eux, pour en prévoir l’illustration et le rappel par d’autres cartes images. Les élèves ont commenté les illustrations en réinvestissant ce qu’ils avaient appris et en réutilisant les mêmes procédés pour interpréter et déduire les états mentaux des personnages. J’ai demandé à un élève de raconter le début de l’histoire et les pages du jour. Les autres pouvaient venir le suppléer en cas d’oubli (ou d’inexactitude) important.

  • Séances 4 et 5 De la même façon, nous avons continué la lecture jusqu’à la page 23, en précisant le terme « végétaux ». Les pages seize et dix-sept ont nécessité une étude au niveau du lexique. Il a convenu de s’assurer que les enfants connaissaient les végétaux représentés, le sens des verbes employés pour décrire les traitements infligés aux végétaux. La segmentation particulière du langage des légumes a dû être mise en évidence par une exagération des blancs entre les mots. Les élèves ont été invités à intervenir pour expliquer les raisons de la colère du gros navet, l’intérêt du mensonge de Zigomar et de Pipioli, et dans la phase d’expansion du récit concernant les punitions proposées par les végétaux. Ils ont dû mettre en lien leurs connaissances encyclopédiques et le texte pour les expliquer. L’observation des positions de Pipioli et de Zigomar a permis de déduire leurs états intérieurs. La reformulation calquée sur le modèle des séances précédentes a renseigné sur les acquis lexicaux et sémantiques et les nécessités d’apports éventuels de précision.

  • Séance 6 L’album a été lu en entier. Cette séance avait pour but de confronter les compréhensions propres à chaque élève et d’aborder la structure emboitée de l’histoire. Un nouveau jeu des différences entre les pages vingt-quatre et vingt-cinq a permis d’engager un partage d’avis sur les différentes interprétations possibles et la façon dont chacun avait compris l’histoire. J’ai noté les différences vestimentaires de la maman de Pipioli, et les différents usages qu’elle pouvait faire de son rouleau à pâtisserie. J’ai demandé aux élèves ce qu’ils pensaient de l’origine de la bosse de Pipioli, et d’expliquer la raison pour laquelle il refusait de manger ses plats préférés.

Phase 2 : RENFORCEMENT DES ACQUIS

  • Séance 7 J’ai procédé à une relecture complète de l’album en incitant les élèves à intervenir aussi souvent que possible pour anticiper le récit en retrouvant dans leur mémoire les mots, expressions et phrases exactes du texte. Je leur ai demandé de rappeler le sens des mots et expressions étudiées à chaque rencontre avec ceux-ci.

Activité : À la fin de la lecture, je leur ai présenté la totalité des cartes images en leur demandant le mot ou l’expression qu’elles rappelaient ou illustraient. Nous avons engagé une partie de jeu avec ces cartes (annexe séance 6 détaillée). Nous avons disposé ensuite, en ordre, la suite des illustrations de l’album (sans texte) et j’ai demandé aux élèves de les utiliser pour raconter l’histoire, chacun prenant en charge une partie du récit. Je n’ai pas manqué pas de leur préciser au préalable, toute la qualité ajoutée par l’emploi des mots appris.

  • Séance 8 Nous avons repris le récit partagé de l’album avec les mêmes modalités, en faisant des pauses pour s’interroger sur ce que ressentaient les personnages. Le but était d’amener les élèves à entrer en empathie en se mettant à la place de… ou en rapprochant les situations de leur vécu, et à mettre des mots sur les sentiments, tout en prenant conscience que ceux-ci changent en fonction des évènements. J’ai complété simultanément et sous la dictée des élèves des bulles de pensées sur des illustrations extraites de l’album.

  • Séance 9 La séance était concentrée sur les scènes du « tribunal » des légumes (pages 17 et 19). J’ai réutilisé les illustrations avec bulles de pensées à compléter (retrouver la même forme d’exercice procure aux élèves un confort et l’opportunité de mieux la maîtriser), pour préciser les intentions des personnages lorsqu’ils mentaient. Afin de bien comprendre l’état d’esprit de Pipioli et de Zigomar, et de pouvoir ainsi trouver les mots pour dire ce qu’ils pensent, j’ai laissé les élèves discuter pour faire des liens et partager des expériences personnelles au cours desquelles ils avaient été amenés à mentir pour se protéger ou se défendre.

  • Séance 10 - L’objectif de cette séance était d’étudier la particularité du langage des légumes. J’ai fait constater aux élèves que les paroles des légumes sont écrites en vert. Nous avons utilisé la méthode des jetons pour comparer la segmentation ordinaire de la phrase en mots de celle particulière des légumes. J’ai demandé aux élèves de traduire des phrases (oralement) dites par les légumes dans notre langue puis de faire l’inverse. La comparaison a porté ensuite, sur la transcription des sons pour voir qu’elle peut être parfois multiple. Nous avons établi des liens avec les sons étudiés en classe et qui pouvaient s’écrire de différentes façons. Cette étude a été l’occasion d’introduire les notions de convention dans l’écriture d’une langue et en conséquence, du concept d’orthographe.

  • Séance 11 Une meilleure compréhension du lien existant entre la punition et celui qui la propose, a aidé les élèves à mémoriser les dialogues dans ce rêve qui tourne au cauchemar, tout en prenant conscience de ce à quoi pourrait conduire la concrétisation du souhait de Pipioli, partagé par les hommes depuis la nuit des temps, à savoir voler comme un oiseau. Les élèves ont repris les formulations de châtiment afin de s’en approprier les structures syntaxiques et sémantiques. Ils les ont réinvesties en imaginant d’autres punitions qu’auraient pu proposer d’autres légumes ou fruits.

Phase 3 : S’ENTRAÎNER À RACONTER

  • Séance 12 Pour mieux comprendre la structure emboîtée des histoires de l’album, nous avons utilisé des boites dont l’une plus petite regroupait les images appartenant au rêve et l’autre plus grande et qui contenait la petite, les images de l’histoire principale. Pour effectuer ce tri, les élèves ont été amenés à réutiliser les indices relevés et étudiés, pour comparer et justifier leurs choix. Ils ont dû également replacer chaque image dans son contexte, ce qui a entraîné à la narration et conforté les mises en relations chronologiques.

  • Séance 13 Les élèves ont complété un album dont les pages étaient restées vierges. En prévision du récit qui serait présenté en classe ils ont du reconstituer le décor de chaque page avec des éléments découpés et mis à leur disposition. Nous avons utilisé un système adhésif repositionnable afin de pouvoir réajuster les mises en place dans cette réalisation collective amenant les enfants à réfléchir par confrontation de leurs souvenirs et points de vue. Cette séance a été consacrée à l’installation du décor sur chaque page et donc à la prise en compte du fait que certaines n’en comportaient aucun.

  • Séance 14 Le travail amorcé dans la séance précédente a été poursuivi par une réflexion sur l’organisation de la présentation qui serait faite en classe, l’attribution et la précision du rôle de chacun. Dans chaque classe un élève raconterait l’histoire dans son intégralité, en utilisant le livre avec les décors replacés et de petits personnages en carton. Dans cette séance de répétition, les élèves étaient tour à tour conteur et spectateur, avec la possibilité d’intervenir s’ils estimaient que des oublis trop importants impactaient la cohérence du récit.



Analyse de la mise en œuvre du scénario

En premier lieu, il convient de souligner que, loin de se lasser des lectures successives de l’album, l’intérêt des élèves, manifesté par leurs participations respectives, est allé crescendo. Il est indéniable qu’ils se sont laissés happés par le jeu de recherche qu’implique la résistance de cet album. Comme des détectives, la découverte d’indices et leurs interprétations ont fait naître chez eux une sorte de jubilation. Les personnages leur sont devenus familiers par leurs traits de caractère tout en restant loin de l’univers dans lequel ils évoluent. La frontière entre l’histoire principale et l’histoire dans le rêve, si difficile à déterminer, est venue taquiner leur imaginaire et créer un conflit cognitif les poussant à remettre en cause leur compréhension première. Il leur a fallu accepter de raisonner sur des impossibilités et pour cela compenser l’absurde par leur sens de l’humour (une souris ça ne vole pas… et un lapin ?). Philippe Corentin a consciencieusement évité les évidences rendant impossible toute anticipation, utilisant ainsi un moyen puissant pour maintenir l’attention des lecteurs jusqu’au bout. Même lorsqu’on croit avoir poussé suffisamment la recherche on s’aperçoit qu’il reste encore des explications à trouver : quelle est la place de la scène apparaissant sur la couverture ? Pourquoi ce second titre « Zigomar n’aime pas les légumes … et il a bien raison » ?

Ce que disent les élèves… au fil des premières séances


Séance 1  P. dit : « Dans la première image elle (la souris) vole parce qu’elle a bien appris, mais une souris ça vole pas ! ». N. dit : « Il (Pipioli) a des bras comme des ailes », C. dit « Il vole si il fait tout comme l’oiseau », A. dit : « Il a envie de voler ! ».

Ces réflexions laissent penser que P. pressent déjà les contradictions du texte, alors que pour C. tout est simple, A. me surprend par la nuance de sa compréhension, elle semble distinguer ce qu’on a envie de faire de ce qui est possible, N. ne s’attache pas au texte, il ne reste d’ailleurs pas à sa place et tente de parler d’autre chose, il dit « On dirait qu’il lui apprend le patinage à nager ». P. repère très vite la différence de couleur des vêtements de Pipioli. Pour les quatre élèves « lundi dernier » n’a pas de sens, aucun ne se situe dans la semaine ni n’en connaît la suite des jours. Ils auront également du mal à ne pas confondre le nom des personnages, ils ne connaissent pas l’album précédent « L’Afrique de Zigomar ».

Séance 2 Le mot « allonge » est inconnu des élèves. Comme les jeunes enfants, ils miment la position ne disposant pas du verbe : « Mets tes bras comme ça ! ». Dès cette séance, il s’avère nécessaire d’utiliser les cartes-images pour mémoriser les mots nouveaux et expressions rencontrés. A. connaît le mot corbeau pour désigner un oiseau noir et n’utilisera le mot « merle » qu’après en avoir vu une photo. Laisser les images en vue a incité les élèves à utiliser le mot juste dans leur récit en fin de séance. P. cherche spontanément une explication aux différentes représentations de l’arbre : « Le faux arbre, c’est avec les yeux, le vrai arbre c’est celui-là il a pas de z’yeux », N. complète «  L’arbre qui parle il ressemble aux humains ». L’échange entre les élèves montre qu’ils pressentent qu’il y a deux histoires sans pouvoir les situer l’une par rapport à l’autre, ce qui gêne P. qui a besoin de rationaliser : « Avant il savait voler, maintenant il sait plus ».

Séance 3 A. m’interrompt pendant la lecture pour replacer la phrase «  Si un lapin vole alors une souris ça peut voler », elle a légèrement modifié la phrase du texte mais prend visiblement du plaisir à sentir qu’elle s’exprime très correctement. Son intervention incite les autres élèves à retrouver des phrases du texte pour intervenir aussi, trouvant une motivation, un confort et du plaisir à mémoriser les structures syntaxiques et à anticiper ce qui va être lu. L’activité garantit leur attention.

Dès ces premières séances je remarque que P. observe, réfléchit et s’exprime sans cette gêne qui le caractérise en classe. Les remarques d’A. montrent qu’elle écoute ce que disent les autres et qu’elle y réfléchit, n’approuve pas complètement et se fait suffisamment confiance pour donner son propre point de vue. Ce qui empêche C. de parler semble être resté à la porte de la salle, elle écoute et … conteste, elle entre dans la discussion ! Si N. remue beaucoup, il a quand même envie de discuter avec les autres et s’appuie sur les illustrations (qui restent accessibles) pour participer au débat. Il est évident que l’échange entre quatre élèves offre un temps de réflexion et d’expression sans commune mesure avec celui de la classe. Les « gros parleurs » y occupent beaucoup d’espace dans les échanges et ne laissent pas aux autres, le temps de réfléchir, la question est à peine posée que tout est déjà dit. En mettant en œuvre ce scénario, j’avais pour but de permettre à chacun de progresser, sans impératif de modèle à atteindre ou de norme à rejoindre. Répondre aux besoins particuliers de chacun a consisté à accepter de modifier le contenu et la longueur des séances, et souvent d’en réorienter le cours, pour offrir un enseignement «  à la carte », et relâcher ainsi une certaine pression. Une fois le projet annoncé et décrit, les élèves ont été totalement « embarqués » dans l’histoire de Zigomar et Pipioli. L’esprit complètement réquisitionné par toutes les opérations indispensables à la compréhension, ils semblent s’être « oubliés », l’effort à fournir les ayant éloignés de leurs préoccupations. Ils ont pu également se rendre compte facilement de ce qu’ils avaient appris. Grâce aux cartes images, ils pouvaient même compter le nombre de mots appris. A leur demande ils ont pu écouter l’enregistrement de leurs récits. Ils écoutaient attentivement et relevaient même ce qu’ils avaient oublié de dire. Nous en avons, bien sûr pris note, pour en tenir compte lors de la séance suivante.

Le grand jour


Fin prête, A. raconte, seule et d’un bout à l’autre, l’histoire de « Zigomar n’aime pas les légumes », à l’ensemble de sa classe regroupée autour d’elle. Pour l’aider, je lui ai auparavant donné la phrase d’introduction «  Je vais vous raconter l’histoire de … » après avoir rappelé aux élèves de la classe, le but de notre travail et les modalités de présentation.

A. se lance : « Pipioli, la souris, l’oiseau le merle » (elle ne dit pas on nom)

« Pipioli dit « Posons-nous je suis à bout de souffle, on est allés trop loin »…lapin volant qui faisait du rase-mottes…jusqu’à lundi dernier il savait pas voler alors Pipioli est allé demander à son ami le Zigomar le merle de lui apprendre à voler » A. n’explique pas le lien entre le lapin volant et l’idée qui vient à Pipioli, elle n’utilise pas non plus de substituts et répète le nom des personnages, mais relie l’envie de voler à la demande faite à Zigomar.

«  .. Boum, Pipioli est tombé la tête la première dans la poussière ». Elle utilise l’expression de P. pour décrire l’image.

« Zigomar est monté tout en haut de l’arbre pour l’encourager …Aïe, aïe  dit Zigomar, il a peur qu’il se soit fait mal… Il pose la main sur son ventre pour voir si il respire encore.» A. exprime les intentions et les états mentaux de Zigomar qui ne sont pas explicites dans le texte.

« Ils sont collés par de la glu, c’est un piège à zoiseaux qui s’appelle un gluau ». À plusieurs reprises elle intègre la définition des mots dans son récit et emploie cette fois un substitut. Elle tente souvent de retrouver les paroles exactes dites par les personnages, ce qui semble la rassurer sur la correction de ses phrases ( !) : « … le champignon dit : « Faisons-les empoisonner.. » Elle s’applique à essayer de retrouver la façon de parler particulière des légumes. En fin de récit, elle explique : « Pipioli a fait un rêve, et il a rêver qu’il avait enfin réussi à voler, mais c’est pas vrai ». Elle a utilisé treize mots et expressions sur dix-huit expliqués. Sa maîtresse dit être subjuguée par son récit, elle a noté la qualité du vocabulaire et la félicite, elle me dira, en privé, être totalement surprise de sa performance. Aux évaluations de fin de période, A. a gagné trois points en compréhension de texte, et elle intervient maintenant dans les échanges en classe avec pertinence. Le bilan des séances est tout à fait positif en ce qui concerne cette élève.

C’est dans la classe de CE1 que P. va raconter l’histoire, ce qui crée un petit stress supplémentaire. P. présente clairement les personnages et fait de bons liens entre les actions des personnages : « … bien sûr une souris ça vole pas, alors il va voir son ami Zigomar le merle, pour (qu’il) lui apprendre à voler ». Il a bien compris l’emboîtement des histoires « C’est le grand jour, Pipioli a réussi à voler dans sa tête, il rêve de voler. ». Il utilise quatorze des dix huit mots et expressions étudiés, il n’a pas tout à fait compris ce qu’est un synonyme, ou peut être que le mot du texte lui revient après coup, il dit: «  …Pipioli aime bien raffoler les noix.. ». P. a des difficultés essentiellement syntaxiques, ses phrases prêtent parfois à confusion, mais il sait bien expliquer que les personnages mentent, qu’ils sont inquiets, qu’ils ont peur, il traduit la montée en angoisse de Pipioli par les mots justes : « … Pipioli appelle «  maman ! »… « Pipioli crie « maman !! »… « Pipioli hurle « maman !!! », et il le joue en modulant sa voix. Il a mémorisé tous les éléments importants de l’histoire et son récit est très cohérent. En fin de récit il répond avec assurance aux questions des élèves : « Pourquoi le lapin y volait ? », « Parce que ses oreilles ça lui servait des ailes, parce qu’il a de grandes oreilles », ou encore : « Les trois étoiles quand il tombe, ça veut dire qu’il a bien volé ? », « Non il est tombé de l’arbre alors ça veut dire qu’il est en train de rêver », il ne précise pas que Pipioli a perdu connaissance, mais il sait qu’il est dans un état proche du sommeil.

P. n’a plus peur de prendre la parole en classe et sa maîtresse dit qu’il est maintenant leader dans les discussions, elle ajoute qu’il est souvent le seul à avoir mémorisé certaines informations.

N. étant habituellement très bavard, je n’avais pas prévu qu’il serait autant stressé par le récit devant la classe. Il cessera de raconter au tiers de l’histoire et ne sera plus en mesure de poursuivre. Son récit est essentiellement descriptif. Il n’a aucun mal à construire ses phrases : « … si un lapin ça peut voler, une souris ça pourrait voler, alors il va demander à son ami Zigomar le merle de lui apprendre mais sauf qu’on croirait qu’il nage parce qu’il fait comme ça et après il grimpe dans l’arbre il faut qu’il batte des bras mais il a pas écouté alors il s’est cogné la tête et après il réessaie une deuxième fois et il s’est blessé, il est assommé… il est toujours en vie.. ». Je choisis de poursuivre le récit en le laissant compléter et préciser. Il sera bien plus à l’aise pour répondre aux questions et saura expliquer que Pipioli n’a jamais vraiment voler, qu’il a seulement rêvé. N. a compris l’histoire et il en a retenu le lexique mais la situation de conteur était trop difficile à affronter pour lui.

C. a tenté d’aider N. en chuchotant l’histoire …elle n’avait, de sa place, aucune peine à la raconter. Lors de son « grand jour » elle a présenté un récit très cohérent, entrecoupé de grands blancs pendant lesquels elle répétait à mi-voix ce qu’elle allait dire. Elle essayait de se souvenir par cœur des phrases du texte par, pourtant celles qu’elle a construites étaient très précises et très correctes d’un point de vue syntaxique et sémantique: « Pipioli est assommé, Zigomar lui met l’aile sur le ventre pour voir s’il respire parce qu’il a peur qu’il soit mort, il est pas mort, il rêve qu’il a réussi à voler. ». Les séances ont été profitables à C., elle était volontaire pour le récit devant le groupe ! Elle a établi de bonnes relations de causalité, utilisé des substituts et très bien compris l’histoire. Je pense que peu d’informations lui ont échappé mais que le récit en public était une véritable épreuve pour elle. Elle l’a acceptée parce qu’elle savait qu’elle pouvait s’appuyer sur ses connaissances. Sa maîtresse dit que depuis quelque temps elle demande spontanément la parole !


Forces et faiblesses du scénario


Je n’avais pas prévu qu’au terme des récits dans les classes, les élèves auditeurs souhaiteraient questionner l’élève narrateur. Ce moment s’est avéré être un très bon indicateur de la qualité de compréhension de l’élève concerné, au-delà de l’activité de rappel. Il a également révélé les manques et les défauts de sa narration. J’ai pu noter à cette occasion les points forts et les limites du scénario.

L’interprétation des états mentaux

Les quatre élèves ont su expliquer clairement l’appréhension de Pipioli après sa première chute et le fait que Zigomar, l’ayant devinée, est aussi monté dans l’arbre pour être près de lui et l’encourager. Ils ont tous insisté sur l’inquiétude du merle en voyant son ami sans connaissance (il s’est dit qu’il était peut-être mort et il voulait voir s’il respirait encore). Aucun ne s’est trouvé en difficulté pour expliquer les raisons de mentir des deux personnages. Les commentaires sur la scène finale, le goûter, viennent confirmer une compréhension très satisfaisante des états mentaux des personnages et des relations de causalité entre les évènements. Lors de cette scène, on sait que Zigomar, Pipioli et sa maman n’ont pas vécu les mêmes évènements. Leurs répliques traduisent des états mentaux bien différents et trouvent leur origine dans leurs expériences respectives.

Les aptitudes langagières

Pour des raisons particulières à chacun et précisées précédemment, l’expression orale justifiait grandement ce travail. Au terme des activités autour du lexique, les élèves pouvaient expliquer seize mots sur dix-huit ( « macéré » et « effrontément » restaient hors de portée) et en réutiliser treize régulièrement dans leurs récits. Les élèves ont compris l’intérêt d’appropriation des tournures syntaxiques rencontrées et se sont appliqués à leur emploi.

La structure emboîtée de l’album a parfaitement été comprise, l’activité « boîtes » a été très efficace. La difficulté des élèves a résidé dans l’emploi de connecteurs temporels adaptés.

A. a mené seule son récit de bout en bout, elle a maintenu son effort pendant dix minutes.

P. a eu besoin d’être rassuré parfois pour poursuivre, mais la précision des informations mémorisée a été pour lui un formidable point d’appui.

N., totalement inhibé dans la situation de conteur, retrouve son aisance dans l’échange et montre tout ce qu’il a appris. Il répond avec finesse et de façon très détaillée aux questions. Cette seconde situation lui offre un sentiment de compétence.

C. a pleinement bénéficié de ces séances, se prouvant à elle-même qu’elle était capable d’une prise de parole longue, bien construite et très pertinente, sa transformation est éclatante.

Les limites du scénario

Les élèves ont tous eu du mal à commencer leur récit. Il leur manquait une formule de type « Il était une fois ». Une séance, très explicite, sur la forme du récit serait très utile. De plus, ayant  fréquenté Zigomar et Pipioli pendant plusieurs semaines, les présenter en début d’histoire ne leur semblait pas d’emblée nécessaire.

D’un point de vue lexical, il a été parfois indispensable d’aller plus loin que prévu pour expliquer un mot. Les enfants ne savaient pas qu’un perroquet est un oiseau capable de parler, et encore moins de « perroquetter ». Ils ignoraient ce qu’était une tisane (les boissons chaudes des adultes étant des cafés). La catégorie « végétaux » a été difficile à définir, sans appuis solides dans leurs connaissances du monde. Certaines séances ont du être divisées en deux pour donner du temps à l’illustration ou à l’expérimentation (préparer une infusion, une décoction).

D’un point de vue syntaxique, les formes négatives employées sont presque toujours incomplètes et les substituts peu ou mal utilisés ( « La souris, elle est pas un oiseau, c’est pour ça que Pipioli il est fatigué). Les enregistrements pourraient être utilisés dans le repérage et la correction de ces formes grammaticales.

D’un point de vue sémantique, les histoires de P. Corentin se prêtent toutes à une deuxième lecture (ici la quête de l’impossible). Cet aspect n’a quasiment pas été abordé et me semble pourtant à la portée d’élève de cet âge. Il pourrait être intéressant de le traiter ultérieurement, préparant ainsi les lectures de légendes classiques et autres contes initiatiques.

Les bénéfices collatéraux

Les changements d’attitudes en classe, constatés par les enseignants, montrent que les préjugés des enfants quant à leurs propres capacités à réussir ont été modifiés, or, les recherches mettent en évidence l’impact de ces jugements sur les performances des élèves (Toczek et Martinot, 2004). En changeant le contexte d’apprentissage (petit groupe, séances « sur mesure ») A., P., N. C., n’étaient plus exposés à une comparaison défavorable en étant les derniers à répondre. Ils ont pu trouver le temps de réfléchir sans avoir à contrôler leur image. Cet « allègement » a sûrement permis à C. de s’exprimer et à P. d’organiser ses idées avant de prendre la parole.

« Les enseignants communiquent, de manière explicite ou implicite, leur degré d’attente et « persuadent » ainsi les élèves qu’ils sont capables de réussir. La psychologie sociale a bien montré le rôle bénéfique de la confiance en soi pour les élèves, qui améliore le sentiment de compétence et de contrôle sur sa propre réussite. Ces éléments sont favorables à un meilleur engagement dans les tâches scolaires, donc à de meilleurs apprentissages. » (Bressoux et Pansu, 2003). Aussi la belle prestation d’A., aura permis a son enseignante, et aux élèves de sa classe, de la voir sous un nouveau jour, ce qui ne manquera pas d’influer positivement dans leurs interactions.

Faire évoluer ses pratiques

Les deux années de formations dont j’ai bénéficié, et les recherches personnelles nécessaires au travail que je viens de présenter m’ont amenée à faire évoluer mes pratiques d’enseignante.

L’enseignement spécialisé requiert un repérage précis des besoins spécifiques des élèves, une observation attentive de leurs mode de fonctionnement en situation d’apprentissage scolaire et une connaissance de ce qui constitue leur contexte d’apprentissage régulier. La latitude offerte par les différentes modalités d’intervention possibles auprès de l’élève permet la mise en place de situations pédagogiques qui ne sont plus contraintes par le temps et l’espace de la classe. Le temps est celui dont l’élève a besoin pour apprendre. L’espace (salle RASED, bibliothèque ou salle de jeu) peut autoriser des déplacements ou l’association de gestes aidant à la mémorisation. L’idée est d’apporter à chacun des réponses adaptées en terme d’accompagnement et de soutien, de l’aider à vivre de façon positive sa scolarité et à réussir à apprendre dans sa classe. L’enseignant doit expliciter avec clarté les démarches nécessaires aux apprentissages scolaires, afin que l’élève puisse s’approprier des stratégies, des savoir-faire et comprendre les processus par lesquels il progresse. Les pauses métacognitives et les synthèses provisoires sont des temps consacrés à l’apprentissage de l’autorégulation, fruits de la recherche en psychologie cognitive, ils s’inscrivent dans chaque séance de médiation.

L’accompagnement pourra se faire, ou se poursuivre, au sein de la classe en vue d’optimiser le transfert des acquis aux situations nouvelles.

Les outils utilisés par les maîtres E ne pourraient souvent pas l’être en classe entière pour des raisons pratiques (jeu d’images, cartes, découpages, album à jouer pour cette séquence). Il offrent l’avantage de solliciter des entrées diverses (visuelles, auditives, kinesthésiques) et de proposer des chemins différents pour apprendre (comme ici, la théâtralisation).

Le rapport à la norme est modifié en remédiation et seuls seront soulignés les efforts et les progrès de l’élève. Les présentations et les supports d’activité ont été conçus, dans ce travail, de façon à ce que l’élève puisse mesurer ses progrès par comptage (nombre de cartes lexique gagnées), par appréciation (écoute des enregistrements), par comparaison (entre album original et album recomposé).

Favoriser l’articulation entre l’aide pédagogique et la classe ordinaire amène à concevoir ses pratiques dans un esprit de complémentarité, mais aussi d’être en mesure de partager avec l’enseignant de la classe, des compétences spécifiques qu’il pourra intégrer à sa propre pratique. La trame de cette séquence peut être utilisée pour d’autres albums de niveau CP et préparer les élèves à un confort de travail avec Lectorino & Lectorinette au CE1.

La mise en œuvre de ce scénario m’a fait prendre conscience que l’activité garantit l’attention, et que la maîtrise des connaissances et des compétences génère du plaisir et revalorise la personne. L’acquisition de méthodes et la réflexion de l’élève autour des connaissances contribuent à reconstruire une appétence scolaire pour les apprentissages en redonnant du sens à la situation scolaire du point de vue de l’enfant.

Conclusion

Oui il est possible de construire un nouveau module adapté aux élèves les moins performants, tout en respectant l’esprit de Lectorino &Lectorinette.

Le nécessaire travail d’appropriation des outils déjà construits, amène l’enseignant spécialisé à développer d’autres stratégies, d’autres manières de faire, en fonction des besoins des élèves, du support et du contexte d’exercice. Cela s’inscrit dans une dynamique d’évolution des compétences professionnelles dans le cadre d’une formation continuée dans l’usage.



Annexe 1


Zigomar n’aime pas les légumes. ( Pierre Corentin.) 




C’est un oiseau et un autre oiseau. Et un arbre.                                     

« Bon ! D’accord ! Posons nous ! » dit le premier oiseau.

Cet oiseau-là c’est Zigomar, le merle.

« Ouf ! Je n’en peux plus ! On est allé trop loin ! » dit à bout de souffle, l’autre oiseau. L’autre oiseau c’est Pipioli, la souris.




Bien sûr qu’une souris ça ne vole pas… Jusqu’à lundi dernier. C’est ce jour là que tout à commencé, lorsque Pipioli faillit se cogner à un oiseau qui faisait du rase-mottes*. Un oiseau dans lequel il lui sembla bien avoir reconnu un lapin. « Si un lapin vole, pourquoi une souris ne volerait-elle pas ? » se dit-il alors.


Alors, il est allé voir un vrai oiseau. Pour apprendre à voler.

« Présent ! » lui a immédiatement répondu son ami Zigomar qui dès mardi matin, lui donnait sa première leçon.

« Un, deux,trois, quatre…Tes pattes ! Allonge tes pattes ! »

Avec un tel professeur, les choses ne trainèrent pas.

« Allez saute ! n’aie pas peur ! »

boum !

« Aïe ! » fit Pipioli.

« Aïe, aïe, aïe ! » fit son professeur

Les leçons ont duré toute la semaine.

«  Bats des ailes ! Bats des ailes.. Ca y est, il va encore faire boum… »

« Et qui est ce qui a encore fait boum ? hein ?... C’est celui qui ne veut pas écouter le professeur Zigomar… Allez, relève-toi ! Ne fais pas l’idiot ! »

Et puis le grand jour est arrivé. C’était hier, samedi.

« Ça y est, ça y est ! Vas-y continue ! »

Bref, Pipioli n’est peut-être pas un oiseau, mais aujourd’hui, dimanche, il sait voler.


« Je viens de voir des légumes ! » dit-il soudain.

« Des légumes ? Tu es sûr ? » s’inquiète Zigomar. « Je n’aime pas ça ! » « Partons ! Vite ! » décide Zigomar.

Ils s’enfuient mais pas loin ; leurs pattes sont collées à la branche enduite de glu*. Les voilà prisonniers. Et ne voilà-t-il pas qu’on les emène devant le roi des végétaux , un gros navet prétentieux*. Il n’a pas l’air content, le gros navet. Qu’est-ce qu’il a ?


Tout le monde est là. Et tout le monde est en colère. C’est qu’il en a assezd’être cueilli, récolté, moissonné, arraché, coupé, mis en pot, en boîte, épluché, réduit en compote, en purée, macéré, infusé, bu ou croqué. Dorénavant tout mangeur de plantes, buveur de chocolat y compris, sera déclaré coupable et sévèrement puni, ah mais !

« vouman jédep lente matondi ? » dit le roi.

« Moi ? Jamais ! » dit Zigomar.

« Moi non plus ! » dit Pipioli.

Oh les gros menteurs…. 

« keske vouman jéalore ? » dit le roi étonné.

«  Que des vers de terre ! » ment Zigomar qui, comme tous les merles , adore les cerises.

Moi , que du gruyère ! ment Pipioli qui , comme toutes les souris raffole des noix.

« héduche oufleur ? » demande un chou-fleur.

« Pouah ! ça pue trop ! » fait Zigomar.

« héjà mèdeuce houpe depoiro ? » s’étonne un poireau.

« Jamais, Monsieur le poireau, c’est trop pouah ! » perroquette Pipioli


« hisson ri golo ! keskon leurfè ? » demande une fraise.

« fez onlep leur é » propose un oignon.

« fez onlé envie nègrette ! » dit une tomate

« esse i on lezanpoizonè ? » dit un champignon.


« Maman !! » appelle Pipioli.

« éplucholè ! » dit une banane.

« Maman ! » crie Pipioli

« nomp ressonlè ! » dit un citron.

« Maman ! » hurle Pipioli.


« Je suis là ! Qu’est-ce qu’il y a ? » dit maman.

« Allez-vous-en ! Allez ouste ! Disparaissez ! Du vent ! Je ne veux plus vous voir ! » dit la maman aux citrons.

« Et vous, venez prendre votre goûter ! » dit-elle aux oiseaux.

Que s’est il passé ? »

« Il a cru qu’il pouvait voler » dit Zigomar. Ca y est ! Il se réveille. Allez, relève-toi ! Ne fais pas l’idiot… Viens on va goûter ! »

« vous allez vous régaler. Je vous ai fait un gâteau aux noix et une tarte aux cerises » dit mère Souris.

« j’eunème passa sèppabon ! » dit Pipioli.

« Qu’est-ce qu’il dit ? »

« Je ne sais pas ! » dit Zigomar.

« Il n’a pas l’air d’en vouloir. »

« Qu’est-ce qu’il a ? » s’étonne mère souris . « D’habitude il adore ça !....

Il est tombé sur la tête ou quoi …. ??? »



FIN

*faire du rase-mottes : voler au plus près du sol.

*La branche enduite de glu : la branche recouverte de colle très forte .

*Un prétentieux : quelqu’un qui se met en valeur pour des qualités qu’il n’a pas.


Annexe 2 : Découpage du texte en items de sens
  1. Atterrissage de Zigomar le merle et Pipioli la souris sur l’arbre

  2. Pourquoi la souris vole : rappel de sa rencontre avec le lapin volant

  3. Rappel de sa première leçon avec Zigomar : lundi dernier la posture de vol

  4. Rappel premier essai de Pipioli et chute

  5. Perte de connaissance de Pipioli

  6. Rappel du premier envol de Pipioli

  7. Rencontre avec les carottes

  8. Prise au piège de Zigomar et Pipioli

  9. Présentation au roi des végétaux

  10. Accusation du roi d’être des mangeurs de légumes

  11. Le langage des légumes

  12. Défense des accusés et premier mensonge

  13. Début de l’interrogatoire : question du roi

  14. Deuxième mensonge

  15. Question du chou-fleur

  16. Défense : l’odeur

  17. Question du poireau

  18. Défense : le goût

  19. Le châtiment, proposition de la fraise

  20. Proposition de l’oignon

  21. Proposition de la tomate

  22. Proposition du champignon

  23. proposition de la châtaigne

  24. Premier appel au secours de Pipioli (sa mère)

  25. Proposition de la banane

  26. Deuxième appel au secours de Pipioli

  27. Proposition du citron

  28. Hurlements d’appel au secours de Pipioli

  29. Réponse de la maman de Pipioli

  30. Arrivée de la maman qui chasse les légumes

  31. Injonction de la maman à venir goûter

  32. Reprise de conscience de Pipioli et explication de Zigomar sur l ‘état de Pipioli

  33. Le goûter : la maman a fait un gâteau aux noix et une tarte aux cerises

  34. Refus de Pipioli dans la langue des légumes

  35. Incompréhension de cette langue par la maman et Zigomar

  36. Interprétation de la réponse par Zigomar

  37. Etonnement et hypothèse de mère Souris

 


Annexe 3


Traduction des mots et expressions difficiles dans l’ordre du texte


Expressions et mots du texte

Explications


Un merle

Un oiseau noir


à bout de souffle

Essouflé (mimer)


Du rase-motte

Voler très bas, frôler


Le grand jour

Un jour où il se passe quelque chose de très important


La glu

De la colle


Un gluau

Un piège à oiseaux: une branche pleine de colle


Un navet

Légume en forme de carotte, mais blanc et rose


Prétentieux

Qui se croit très fort


Les végétaux

Légumes, fruits, plantes, arbres


Allonger

Déplier, étendre


Macéré

Qu’on laisse tremper longtemps dans l’eau


Infusé

Qu’on met un moment dans de l’eau chaude comme pour faire de la tisane


Effrontément

Sans avoir peur


Perroquette


Répéter comme un perroquet

vinaigrette

Le mélange d’huile et de vinaigre pour faire de la sauce de salade


empoisonner

Donner du poison pour faire mourir


presser

Faire sortir le jus


hurler

Crier très fort




ANNEXE 4 : L’album page à page

Page 7 :

  1. Comparer « c’est un oiseau et un autre oiseau » avec ce qu’on voit (un merle et une souris) expliquer l’expression familière « être un drôle d’oiseau » = une personne un peu bizarre

  2. Décrire :

  • comment sont habillés les animaux

  • l’arbre a un visage et une expression (surprise, étonnement ..)

  • la souris se sert de ses pattes avant étendues en guise d’ailes, il n’y a pas d’arrière plan

Page 8 :

  • Déduire que la souris s’appelle Pipioli

  • Le lapin volant qui fait du rase-motte se sert de ses oreilles et de ses pattes avant pour voler.

Page 9 :

  • Déduire que l’oiseau noir s’appelle Zigomar

  • Zigomar apprend à voler à Pipioli en le tenant par la queue et sous le menton (comme pour apprendre à nager)

Page 10 :

  • Expliquer « les choses ne trainèrent pas », ça veut dire que Zigomar place rapidement Pipioli sur une haute branche pour qu’il essaie de voler.

Pages 11-12-13

  • Expliquer en décrivant l’image « boum », ça veut dire que Pipioli est tombé et le « aïe ! » de Pipioli qu’il s’est fait mal, alors que le « aïe » de Zigomar exprime ce qu’il pense (il a provoqué la chute de Pipioli)

Page 14

  • Expliquer l’expression : « le grand jour ». C’est le jour où Pipioli réussit à voler.

Page 15 :

  • Décrire les carottes en précisant leur position et leur représentation personnifiée

  • Recenser les personnages sans oublier l’arbre, interpréter leurs expressions

Page 16 :

  • interpréter les expressions : Zigomar et Pipioli  semblent désagréablement surpris, effrayés car ils ne s’attendaient pas à être piégés, ils ne peuvent pas s’enfuir.

Les carottes sont contentes , le piège a fonctionné, elles ont réussi à les attraper

l’arbre regarde Zigomar et Pipioli, il semble sourire

Page 17 :

  • identifier le lieu : chez le roi des végétaux, on sait qui est le roi parce que le texte dit que c’est un gros navet et on voit qu’il est sur un trône.

  • Les carottes sont armées de bâtons

  • Le dessin de la bouche du navet montre qu’il n’est pas content, les yeux de Pipioli et de Zigomar expriment qu’ils ont peur, qu’ils se demandent ce qui va leurs arriver.

  • Les carottes sont autour des prisonniers avec des bâtons pour les empêcher de se sauver (elles les gardent).

Pages 18-19 :

  • Qui est « Tout le monde » = nommer tous les légumes/végétaux représentés

  • Que ressentent Zigomar et Pipioli ? Qu’est-ce qui l’exprime ? (leur regard)

Pages 20-21 :

  • Zigomar est devant, Pipioli reste derrière lui car il se met à l’abri parce qu’il a peur.

Pages 22-23 :

  • Pipioli a de plus en plus peur il se penche vers l’arrière



Pages 24-25

  • Ils freinent avec leurs pattes parce qu’ils ne veulent pas aller dans le presse-citron

Page 26 :

  • La maman de Pipioli a pris un rouleau à pâtisserie pour chasser les citrons

  • Pipioli est évanoui on voit des étoiles autour de sa tête comme lorsqu’ il est tombé de l’arbre.

Page 27 :

  • Il n’y a plus de fruits ni de légumes Pipioli a une bosse sur la tête et se réveille

  • La maman tient un rouleau à pâtisserie parce que … elle a fait une tarte

Page 28 :

  • Zigomar et Pipioli sont chez la maman de Pipioli

  • Pipioli a une bosse sur la tête

  • Il n’y a plus de fruits ni de légumes























ANNEXE 5 : Inventer des punitions qui pourraient être proposées par d’autres légumes


LES VÉGÉTAUX

PROPOSITIONS DE PUNITION

Une pomme de terre


(Coupons les en frite »)

Une carotte


(«  Râpons les »)

Une pomme


(« faisons les en compote »)

Des petits pois

(« Écossons les »)


Un haricot

(« Faisons les bouillir »)


Un ananas

(« Coupons les en tranches »)


.
































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Bulletin officiel n°3 du 19 juin 2008

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Date de création : 17/09/2015 : 15:40
Dernière modification : 17/09/2015 : 15:40
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